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 Témoignage d'Armande BAUDRY

    Témoignage d'Armande BAUDRY (GOEURIOT) agent de liaison ''Yvette"

      dans  la Résistance ( témoignage donné au Comité ANACR en mars 2005 )

 

Je suis originaire de Sinzelas à côté de La Bachellerie, à 5 kilomètres du Lardin en Dordogne où je suis née le 25 octobre 1920 . Rien ne me prédestinait vraiment à devenir une résistante, du  moins dans mon environnement familial direct, ni le milieu social de mes parents, ni surtout la profession de mon père Pierre Baudry qui était militaire (Lieutenant). Il faut sans doute plutôt chercher du côté de mes amies ou de quelques proches, les raisons de mon engagement. J’ai peut-être pris conscience pour la première fois de l’existence de problèmes sociaux au contact de mon amie Dédée Nantia, fille du maire du Lardin, qui, en 1936, alors que je n’avais que 16 ans, me fit participer à une collecte au bénéfice des grévistes de l’usine Progil.
 

Je participais aussi grâce à ma tante et à mon oncle, Madame et Monsieur Pilhet, à des réunions organisées par la directrice du collège d’Excideuil (amie de Suzanne Lacore, députée) et de ses cousins Tkint ; elle était directrice d’école à Tonnay-Charente et lui technicien à Rochefort ; ses idées politiques lui valurent d’ailleurs d’être interné à Nexon en 1939.
 

En 1938, mon père répondit à une première mobilisation à Villefranche de Périgord où il était chargé de réquisitionner les chevaux. Fin août 1939 il rejoignit le 35e Régiment d’artillerie de Périgueux-Saint-Georges où il devint officier d’intendance. Je le rejoignais souvent et je me retrouvais au mess des officiers. Il fut démobilisé en mai 1940 et rejoignit la Légion des Anciens Combattants. En tant qu’ancien combattant de 14-18, il était subjugué par le « vainqueur de Verdun », se refusait à le considérer comme un traître, et, à mesure que Pétain s’enfonçait dans la « collaboration », mon père voulait croire à un double jeu de sa part pour sauver l’essentiel ! Je pourrais donc dire qu'une partie de  ma jeunesse a été placée  sous l’influence du pétainisme sans pour autant que cela détermine mes convictions.
 

Mais je fréquentais d’autres milieux par mes activités sportives. Par exemple : j’étais avant-centre de l’équipe de basket où je retrouvais Cathy et Colette Rouby, filles de la directrice d’école. J’avais aussi la chance de pouvoir échanger des informations et des commentaires sur l’actualité avec Monsieur Périllou, directeur de l’école de garçons. Toutefois ces personnes parlaient avec circonspection car mon père suscitait une extrême méfiance à cause de son passé.
 

A partir de l’été 1940, de nombreux réfugiés arrivèrent dans notre région et notamment des Alsaciens et en particulier des Strasbourgeois qui furent répartis sur tout le département de la Dordogne. Je ne me souviens pas particulièrement du 18 juin. Nous en avons eu cependant connaissance par Radio Londres. Nous n’avions pas l’électricité, mais nous avions un poste à « accus » qu’il fallait souvent aller recharger à la Bachellerie. Plus tard, nous écouterons avec colère l’annonce toujours repoussée du débarquement allié « Quand les feuilles tomberont » (en 1943) ou les combats des Glières et du Vercors (en 1944…)
 

En 1942, de forts contingents de Juifs arrivèrent de divers pays d’Europe, puis d’Alsace-Lorraine : des commerçants chassés de leurs boutiques, professions libérales interdits d’exercer leur métier… C’est vers cette époque que ma mère loua à des Juifs venus de Brive et originaires de Metz, la maison de mes grands-parents. De leur famille il ne restait plus que la mère, Mme Reich et ses deux fils Adolphe et Max. Deux nièces raflées à Metz étaient internées à Drancy. Je proposai d’aller les chercher, mais Mme Reich me l’interdit car c’était dangereux. Ces Juifs réfugiés restèrent donc chez nous jusqu’à la fin de la guerre. Ma mère et Mme Reich avaient caché les biens de la famille Reich (des fourrures de valeur) dans des couettes et des édredons soigneusement recousus pour n’éveiller aucun soupçon. A la fin de la guerre ils récupéreront leur bien et deviendront des amis de la famille .
 

Fin 1942 et en 1943, en relation avec des gens hostiles au régime de Pétain et à l'envahisseur (et qui commençaient à organiser la Résistance), je quêtais argent et couvertures ainsi que des médicaments dans certaines pharmacies, notamment chez M. Villepreux, pharmacien au Lardin. Je les remettais à un certain Adrien ( je sus plus tard que c'était Elie Dupuy) que je rencontrais chez mon oncle Pourchet, chauffeur du Capitaine Veyssière, commandant de gendarmerie à Brive qui mourra en déportation.
 

Au printemps 1943, après l’instauration du Service du Travail Obligatoire (STO), j’incitais les requis à refuser d’obtempérer, à l’occasion de rencontres et discussions diverses. J’interpellais les jeunes copains en âge de partir : '' Es-tu d’accord pour aller en Allemagne ? Tu sais, aller travailler pour eux n’est pas sans risques, en particulier celui de ne pas revenir, et puis, les aider c’est travailler contre notre pays…etc. ''  S’ils étaient hésitants, je leur demandais de réfléchir et s’ils se décidaient à refuser le STO, je leur disais d’acheter un journal dont j’ai oublié le titre, de se rendre à Brive, au café le Zanzibar ( un café situé face à la place de la Poste centrale), et d’attendre là que quelqu’un les contacte. Ils devaient suivre ce contact et demander le village de Lagleygeole, près de Jugeals-Nazareth. Là, ils étaient très surpris lorsque c’était un gendarme qui les interpellait pour les réceptionner : il n’était autre que le gendarme Pourchet, mon oncle de la brigade de Brive. Il les conduisait à Lucien (autre surnom d’Elie Dupuy), un des responsables des maquis du secteur.
 

Je fis également faire de fausses cartes d’identité pour les Juifs . A cet effet, je me rendais à bicyclette à Brive où elles m’étaient remises par une filière de l’Armée Secrète (A.S) du Capitaine Faro, celle du Capitaine Thomas qui habitait alors avenue de Toulouse ( à gauche avant le pont de chemin de fer de la ligne Paris-Toulouse). J’eus un rendez-vous avec un officier A.S à l’hôtel du Chapon Fin où je ramenais les deux fils d’un docteur d’Angoulème, ami de M. Laroche-Joubert des papeteries du même nom. Je recrutais aussi pour les F.T.P notamment un certain « Antoine » (Monsieur Duclos de Saint-Rabier en Dordogne) qui par la suite devint un chef de la Résistance et d’autres dont je n’ai jamais connu les noms. Il fallait, en effet, faire preuve de la plus grande prudence et nous ne connaissions que les surnoms de nos interlocuteurs.
 

Au début 1944, suite à la terreur installée en Dordogne par l’équipe du chef milicien Denoix qui habitait à 2 kilomètres de chez moi, mon amie, madame Lagorse me demanda de partir à Brive Deux cheminots me proposèrent de prendre place sur leur draisine, et après avoir passé la nuit à la gare à cause du couvre-feu, au matin, je rejoignis mon oncle et ma tante Pilhet . Leur domicile sera perquisitionné par les Allemands, mais une affiche de la Légion des Volontaires Français (L.V.F) dans la salle à manger (pour tromper l'ennemi!) les calmera et ils partiront sans avoir vu les armes cachées dans le grenier à l’étage. (Adrien avait apporté des mitraillettes Sten parachutées avec des notices en anglais).
 

Au printemps 1944, je devins l’agent de liaison « Yvette ». J’effectuais de nombreux déplacements à bicyclette, Brive-La Bachellerie-Brive, puis vers le sous-secteur B surtout sur les trajets Brive-Chanteix, commune où se trouvaient plusieurs camps de maquis FTP : les Maurians, Moulzat (camp où se trouvait le commandant aux opérations Jérôme (Fernand Taurisson) à la tête des maquis du sous-secteur B dont le 2ème bataillon était alors commandé par «Lucien » (Elie Dupuy). Au camp, on apprenait à manier les armes, on tirait au revolver contre un arbre. Le mien était un '' 6-35 '' ; on manipulait les grenades quadrillées, la mitraillette '' Sten'' qui n’était guère précise.
 

Je portais les plis à Brive, principalement avenue de Bordeaux. J’achetais des cartes d’état-major ou cartes détaillées de la région pour les ramener au P.C du maquis (Poste de commandement) de Moulzat. Lors de mes déplacements j’étais armée de mon  ''6-35'' et d’une grenade. Lorsque nous allions en ville, nous déposions nos armes dans une cache pour les reprendre au retour. Pour entrer à Brive venant de Chanteix, nous passions parfois par le Pont de la Bouvie après être descendus à l’Est d’Ussac, parfois, par Malemort où les Allemands stationnaient devant un café qui faisait l’angle de la route de Sainte-Féréole et de la nationale 89. Ils interpellaient les jeunes filles pour nous « conter fleurette ». En entendant « fraülein ! », nous faisions semblant de plaisanter avec eux, mais il nous tardait surtout qu’ils nous donnent l’autorisation de passer ! Sur l’instant, j’étais indifférente au danger, totalement investie dans la ''mission'' qu'on m'avait confiée . 
                                                                                                                  

Durant cette période je me déplaçais essentiellement à vélo vers le moyen plateau corrézien en traversant des villages où personne ne me connaissait contrairement à certaines jeunes filles agents de liaison issues de familles de Résistants et qui, de ce fait, couraient peut-être plus de risques (ce fut le cas de Louise Boucheteil). Mais les paysans de ce secteur étaient heureusement pour la plupart acquis à nos idées. C'était le cas de Mr Verdier chez qui je logeais souvent, à Mouly de Saint-Mexant, un brave paysan et un vrai Résistant (et ce, depuis le début de la guerre) chez qui se tenaient des réunions . Il prenait des risques comme tous ces paysans qui aidaient les maquisards (avant d'arriver à Mouly, je traversais le village du Monteil où je savais qu' ils  trouvaient  du soutien). Il faisait, dans son rustique fournil, les fournées de pain qui nourrissaient ces combattants volontaires du maquis... J'en transportais souvent sur mon vélo vers les camps de Chanteix ...
 

Le Lieutenant ''Joubert'', chef départemental des F.T.P, de son vrai nom Jean-Baptiste Champseix  (mais  je ne l'ai su qu'à la fin de la guerre !) et dont j'étais devenue l'agent de liaison, venait à Moulzat et avait, près de la maison de Mr Verdier, dans un de ses terrains boisé, une sape dans laquelle il pouvait se cacher.
 

 Fin avril 1944, une nuit, je suis partie en voiture avec des hommes et le Lieutenant Joubert vers un lieu inconnu que nous avons atteint après des heures de détour par les routes et les chemins à travers bois. J'ai su plus tard que c’était le camp de l’étang de la Bonde près de Clergoux où était établi le poste de commandement des F.T.P de la Corrèze. Je fus accueillie par Jacky, la secrétaire de Kléber (Jean-Jacques Chapou). Je couchais sous la tente en toile de parachute, à même le sol avec une couverture.
 

Pendant l’attaque de Tulle (7- 8 juin 1944), j’avais effectué une liaison au camp de Moulzat à Chanteix. Le soir, je vis rentrer des camarades blessés, parmi lesquels  Adrien  (Elie Dupuy). Ces moments étaient assez terribles .
 

Au P.C de Clergoux nous faisions un peu de tout : du secrétariat, de la couture, en plus des déplacements comme agents de liaison.
 

La Libération du département me trouva à Sédières, au château où s’était installé le P.C départemental  des FTP .


Date de création : 28/04/2024 @ 11:39
Catégorie : Médiathèque - Biographies de femmes résistantes
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