Les  femmes du '' sous-secteur B '' dans la Résistance

                         Les  femmes du '' sous-secteur B '' dans la Résistance

 

Extraits d'une causerie organisée à Chanteix le 27 mai 2017 après les célébrations de la Journée Nationale de la Résistance . Cette soirée s'attachait à rapporter des témoignages donnés directement par les Résistantes elles-mêmes ou par leurs proches membres de notre Association qui nous les ont rapportés . Tous, familles et amis ont  été marqués par les récits des événements dont elles ont été les actrices valeureuses .
 

Il est impossible de faire un travail sérieux sur la Résistance en Limousin en général et dans les communes de notre Comité en particulier, sans évoquer le rôle essentiel des femmes . Dans notre secteur elles vivaient souvent dans un milieu favorable à la Résistance mais elles ont eu une  place à part  .  Au début de la guerre, alors que leur mari, mobilisé, était parti sur le front , elles sont devenues comme ma grand-mère ou Germaine Roche chef de famille et  chef d'exploitation de la ferme... Lorsque la Résistance s'est organisée et que les premiers ''clandestins'' sont arrivés sur le moyen plateau corrézien, elles ont pris leur part de responsabilités. Elles aidaient les maquisards en préparant de la nourriture ou en lavant leur linge ... Les jeunes filles, à l'image de  leur père ou leur frère, ont constitué d'excellents agents de liaison FTP... Ce fut le cas dans le village de Villieras (commune de Saint-Mexant)  pour Marthe Bouyssou et Louise Boucheteil , à Vaujour de Saint-Pardoux c'était Raymonde Régnier .
 

Raymonde Régnier
 

Agent de liaison pour le sous secteur B, dont faisait partie le camp de Moulzat qui se trouvait à proximité de la commune de Saint-Pardoux raconte : '' Nous vivions dans une ferme près de Saint-Pardoux l'Ortigier, à Vaujour. C'est un lieu d'accueil pour les ''pourchassés'', les maquisards qui commençaient à s'organiser en particulier au printemps 1943 (le camp de maquis de Moulzat sur la commune de Chanteix pas très loin de chez nous à vol d'oiseau , s'installait ) . Des FTP venaient partager notre repas et repartaient avec du pain, du saucisson, du fromage, un tricot ou du linge propre ...Les Allemands ne sont jamais venus jusqu'à la ferme mais un jour nous avons eu bien peur ...Notre maison était pleine de FTP venus se restaurer avant de partir pour une opération du côté d'Allassac . Leurs voitures étaient dans la cour  avec l'équipement reconnaissable . Mon frère arrive en courant ''  Maman, les Allemands !'' Tous les gars sautèrent par les fenêtres sur l'arrière de la maison pour fuir . C'était une fausse alerte mais c'était pour nous tous un moment de grande peur! Un des gars qui arrivait avait un casque allemand,  ce qui avait terrorisé mon petit frère et tous ceux qui se trouvaient là …
 

Cette peur compréhensible n'empêche pas Raymonde de prendre sa part dans la Résistance locale .
 

 '' J'avais 19 ans ; au maquis on m'appelait ''Suzy'' . Le lieutenant ''Jérôme'' (Taurisson, responsable du camp de Moulzat sur la commune de Chanteix ) me donnait des messages verbaux ou écrits à transporter. Je partais toujours sur mon vélo sur les routes avec enthousiasme . Je crois que j n'ai jamais eu vraiment très peur peut-être parce que je ne savais pas ce qui m'attendait si j'étais arrêtée…
 

Le 11 juin 1944, 2 jours après les pendaisons de Tulle, le '' lieutenant ''me confie 11 messages à transmettre à  Aubazine gare, aux familles de nos gars qui ont combattu à Tulle. Ces familles doivent vivre dans l'angoisse ne sachant si les leurs font partie des victimes. Je transporte aussi des tickets d'alimentation et un peu d'argent. Je mets tout ça entre ma peau et ma gaine. ..Le laitier me transporte avec mon vélo jusqu'à Brive... Mais en arrivant, je n'ai jamais vu autant d'Allemands aux airs effrayants. Ils contrôlent la circulation. Sur la route de Tulle , je demande avec un sourire si je peux passer ...Ils me font signe ''Allez !'' Je roule entre  2  haies de SS en tenue de combat (''léopard'') avec le casque couvert de verdure accrochée dans un filet, le visage barbouillé de noir ...Certains se trempent les pieds dans la Corrèze, d'autres font la cuisine ...J'arrive enfin à Aubazine dans les familles de nos gars où l'on m'offre à boire et à manger. Certaines sont rassurées mais je revois une maman âgée qui a perdu un fils et qui pleure en m'embrassant …
 

Je repars à vélo par les petites routes et je rentre rendre compte au lieutenant ''Jérôme'' qui m'a fait confiance, du déroulement de ma mission qui consistait ce jour-là à apporter des nouvelles et de l'aide aux familles de maquisards ''.
 

Germaine Roche
 

Ce fut une Résistante hors pair. Elle exploitait avec son mari  une ferme au lieu-dit ''Les Bois Grands ''de Saint-Mexant à moins d'un kilomètre à vol d'oiseau du village de Villieras et de la ferme Boucheteil . Pierre Roche fut mobilisé au début de la guerre comme beaucoup de paysans de nos communes et fait prisonnier en Allemagne lors de la ''débâcle''. Tout en travaillant normalement sa ferme, Germaine aidait d'abord les clandestins poursuivis par le Régime de Vichy ou des Espagnols fuyant le fascisme et arrivés dès 1939. Pierre Boucheteil raconte qu'elle accueillit une jeune femme qui accoucha chez Germaine dans des conditions difficiles. Lorsque  les clandestins s'organisèrent en camps de maquis, elle les accueillait, les ravitaillait, servait de ''boîte à lettre'' et participait aussi à des opérations risquées. L'une d'elles est mémorable et force l'admiration. Laissons Armand ''Germain'' Boucheteil acteur (pour une partie) de l'événement  nous le raconter . Il aimait tant le rappeler lors des réunions de l'ANACR ou avec ses amis de Villieras ou de Saint- Clément ! '' Fin mai 1944, mon père Pierre qui habitait Villieras ( responsable du Poste de Commandement des FTP du sous-secteur B ) avait été blessé grièvement  à la jambe en manipulant une arme explosive et hospitalisé à Brive sous un faux nom et un faux prétexte : une blessure provoquée par une fourche ! Il avait fallu l'amputer plusieurs fois ...Les responsables du sous-secteur B étaient inquiets : les Allemands qui surveillaient l'Hôpital ne manqueraient pas de découvrir la vérité … A la maison c'était la désolation : les Allemands étaient venus , avaient pillé la ferme et emmené Louise ma sœur dont nous n'avions pas de nouvelles ...Il fallait  sortir mon père de l'Hôpital mais comment ?  Attaquer directement les sentinelles aurait été beaucoup trop risqué ... C'est au cours d'une réunion avec quelques uns de ces  responsables  (dont Jean-Baptiste Champseix) que l'idée est venue d'aller  le récupérer vers midi avec un ''vélo taxi'' ( un vélo auquel était attachée une petite remorque basse où l'on pouvait installer une personne ) Un copain  avait en effet repéré que, vers midi, des malades qui se plaignaient de ''crever de faim'' sortaient de l'hôpital et se faisaient conduire en ville pour manger, par des ''vélos taxis'' . Le ''vélo taxi''  amènerait en réalité mon père à Malemort où nous l'attendrions avec 2 tractions des maquis …Mais il fallait que quelqu'un l'aide à sortir et l'accompagne le long du parcours . C'est à Germaine Roche, qui a immédiatement accepté, que la tâche particulièrement périlleuse a été confiée . Elle avait contacté ''une bonne sœur'' qui s'occuperait de la sortie et surtout le docteur Blayac qui aidait les Résistants . Au jour J, selon l'organisation qu'elle avait mise en place, elle est allée le chercher . Elle a aidé à l'embarquement de mon père dans la remorque du ''vélo taxi'' et lui a donné l'ordre  de prendre la direction de Malemort ; elle suivait de près et surveillait et, après avoir franchi 2 barrages allemands  sans encombre, ils sont arrivés près des tractions ; je me trouvais dans l'une d'elles  ... A la vue des mitraillettes qui sortaient des voitures, le taxi a cru qu'il allait être tué ...Il a été payé par Germaine et a filé sans rien demander ...Nous avons récupéré mon père et  il a été conduit à l'hôpital militaire de Clergoux où le médecin et chirurgien du maquis, le docteur Toty, a pu le soigner et le sauver . On lui a fait une prothèse : ''une jambe de bois'' comme il disait … Quelle tristesse ! Mais cette opération de la Résistance (qu'on appellerait aujourd'hui ''d'exfiltration'' !) parfaitement préparée et menée à bien par Germaine, une vraie Résistante intelligente et courageuse, est un modèle du genre ! Un homme n'aurait peut-être  pas eu les  capacités psychologiques et le sang froid  dont elle a fait preuve ''. C'est ainsi, avec beaucoup d'émotion, que ''Germain''Armand Boucheteil rendait un hommage bien mérité  à  Germaine Roche.
 

Elle fut élue dès 1945 aux premières élections municipales libres où les femmes avaient obtenu le droit de vote.
 

Louise Boucheteil
 

 Il est un autre souvenir très douloureux que ''Germain'' évoquait plus rarement mais toujours avec une grande émotion avec ses amis proches ou des voisins de Villieras qui connaissaient bien Louise, sa sœur, puisqu'il s'agit du pillage de la ferme Boucheteil et de l'arrestation de Louise par les  Allemands . Je me souviens en particulier d'une évocation très émouvante qu'il en fit, à la maison, en présence de ma mère * qu'il connaissait très bien (ils avaient passé leur enfance et une partie de leur adolescence en ''voisins'').
                                                                                                                                                                  

''Fin mai 1944 ma sœur Louise (20 ans) était venue à la maison alors que la plupart du temps à cause de  son rôle d'agent de liaison (au printemps 1944 elle était devenue l'agent de liaison ''Ginette'' affectée au PC du 2ème bataillon tactique )elle évitait de se trouver chez nous à Villieras pour ne pas mettre en danger sa famille mais aussi les maquisards qu'elle aidait depuis déjà bien longtemps ... Mais ce jour-là j'étais très malade et ma grand-mère avait entendu l'avis du docteur qui prétendait que je ne survivrais pas à la double pneumonie que j'avais contractée ...Ma sœur en avait été informée et elle était venue passer la nuit avec moi ... Son souci de tenir sa place  de ''grande sœur'' attachée à sa famille a bien failli lui coûter la vie !  Il faisait à peine jour quand les Allemands se sont précipités dans la maison, renversant tout sur leur passage et hurlant pour trouver ''Ginette'' et ''Lucien'' (chef du bataillon).  Ma sœur avait eu le temps de glisser son pistolet sous mon oreiller et la Mémé avait caché le ravitaillement destiné aux maquis que Louise avait préparé, sous un édredon . Les Hitlériens fouillaient partout et demandaient violemment à Louise (qui était couchée dans un lit à côté du mien ) de se lever . J'ai eu de la chance ! Après m'avoir menacé, ils ont fini par me laisser tranquille mais ils ont poussé Louise  dehors avant de la conduire dans la grange . Elle s'est  rendu compte qu'un personnage nommé ''Dédé'' et qu'elle avait déjà vu avec des gars du maquis était là, et que, les nazis lui parlaient . Et ma sœur se demandait  s'il l'avait dénoncée ou s'il avait parlé sous la torture ... En tout cas il les avait amenés à la maison !  Ils tiraient des coups de feu dans tous les sens, faisaient sortir les animaux qu'ils emmèneront avec beaucoup d'autre ravitaillement . C'est un véritable pillage de la ferme ! Mais c'est surtout ma sœur qui, interrogée sur les maquis et ne répondant pas à leur question, est menacée d'être fusillée.'' ...Et la gorge de Germain se serre et il nous prend à témoin '' Vous vous rendez compte de ce qu'elle a enduré ! L'arrestation d'abord puis l'enfermement et la torture à Tulle ! Mais elle était tellement courageuse ! Elle était comme la Mémé ...Pendant que les pilleurs remplissaient leurs véhicules, elle essayait de récupérer quelques pots de graisse ...Ils auraient pu la tuer d'un coup de crosse ! Mais que n'aurait-elle pas fait pour nous procurer à manger ! Lorsque cette horde s'en va dans la matinée , je suis seul avec mes grands-parents ma sœur avait été emmenée et nous ne savions pas où ...Nous ne savions même pas si elle était vivante ! Mon père était à l'hôpital de Brive ! Mon frère était dans le maquis ...Heureusement que les Allemands s'étaient limités à fouiller la ferme car derrière la grange, pas très loin, à l'orée du bois, il y avait des sapes où les maquis se cachaient lorsqu'il y avait un danger imminent ou bien  ils y cachaient des armes ! Mais ils  s'étaient  éloignés des bâtiments et ils pouvaient avoir confiance car  durant les 10 jours de prison et de torture Louise ne parlera pas ! Elle sera libérée le 8 juin lors de la prise de Tulle par les maquis. Elle ne pourra pas regagner la maison tout de suite par crainte d'être à nouveau arrêtée et devra se réfugier dans le maquis . Mais cette terrible épreuve  lui laissera des traces indélébiles ...Pendant longtemps elle fera des cauchemars difficiles à calmer . Vous imaginez l'horreur qu'elle a vécue ! ''
 

        Causerie animée par Odile Delaunay d'après des témoignages écrits ou oraux directs ou confiés par les familles .
 

*Huguette Chazal qui témoigne dans ce fascicule à propos du même événement . 


Date de création : 28/04/2024 @ 11:47
Catégorie : Médiathèque - Biographies de femmes résistantes
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